Vous avez dit Maroc ?
Le stage de mai 2000 à Ouarzazate

Jusqu’il y a quelques mois, le Maroc pour moi comme pour beaucoup c’était un pays inconnu,
haut-lieu touristique sans doute mais d’intérêt vélivole incertain, et de toute façon inaccessible.
Quelques indices, pourtant, m’avaient mis la puce à l’oreille…

 L’Espagne que je fréquente régulièrement depuis une dizaine d’années commençait à me paraître un peu étriquée et le plaisir de la découverte initiale à s’estomper,  la zone des vols de la péninsule m’étant maintenant familière même s’il m’en reste encore beaucoup à explorer. Et l’ASH 26 E « Delta Fox » dont j’ai le bonheur de disposer depuis l’an dernier, maintenant rodé, commençait lui aussi à se sentir à l’étroit et avoir des fourmis dans les ailes, impatient qu’il est de sortir des rues de nuages battues et rebattues et de profiter de la parfaite autonomie que lui procurent ses nouveaux panneaux solaires...

Je savais, à peine plus au sud mais déjà sur un autre continent, la réputation flatteuse dont l’aérologie de l’Afrique du nord, depuis longtemps déjà pouvait s’enorgueillir : dès janvier 1923, Joseph Thoret volait 7 heures 3 minutes en avion Hanriot 14 « hélice calée » à Biskra, et le concours qui s’y déroule quelques semaines plus tard voit plusieurs records du monde de planeur tomber : durée de 8 heures 36 minutes 55 secondes, et altitude de 630 m ! En 1948 le Père Harmel, également en Algérie, réussissait un vol de 465 km en Nord 2000 de Géryville à Sétif  et la Tunisie n’était pas en reste … Mais ce vol à voile grandiose semblait réservé à présent aux seuls rapaces et migrateurs.

Bien sûr, quelque écho des fabuleux thermiques d’Ouarzazate   et du sud du Haut-Atlas, aux confins du Sahara, colportés par des pionniers ayant volé au centre nouvellement créé de Beni-Mellal ou de hardis participants de la Route des Cigognes  avait éveillé mon intérêt…

Enfin, il y a 2 ans, une étude présentée à l’OSTIV , à partir d’un modèle numérique de convection (Alptherm) et des radiosondages de Tamanrasset (22°49’ N, 5°24’ E, alt. 1300 m) analysait la masse d’air chaude et sèche du désert et aboutissait à de bien prometteurs  résultats : plafonds de 4500 à 6000 m quotidiens de mi-mai à fin octobre, « seulement » 3000 à 4000 m entre novembre et mars ( !), « distance potentielle de vol » chiffrée à 700 km en moyenne l’été, 300 km l’hiver, avec un maximum de 921 km (valeurs relativement pessimistes puisque, de l’aveu de ses auteurs, négligeant l’apport du relief et du cheminement ; le même modèle appliqué en Allemagne un jour où plusieurs 1000 km ont été réalisés donnait une distance potentielle de 839 km seulement)... Mais tout ceci restait du domaine des supputations et, faute de structures ad hoc, du rêve.

Or d’onques, surfant sur le regretté forum internet d’Edelweb en février dernier, voici que je tombe sur l’annonce d’une expédition vélivole au-delà du Haut-Atlas. Aussitôt contacté, son auteur Didier Chevalier me convainc par son enthousiasme et me décide, sans trop de mal, à me joindre à l’aventure… Car c’en est une, ne serait-ce que par les difficultés administratives et culturelles à surmonter, mais le plus dur a déjà été fait par Didier, Gérard Bocage et l’équipe du centre royal de vol à voile de l’Atlas de Beni-Mellal. Car il faut parlementer avec les autorités locales à Ouarzazate, obtenir des autorisations en bonne et due forme de la direction de l’aviation civile à Rabat, s’assurer des passages en douane, etc. Voir plus loin les péripéties de l’organisation que Didier et Gérard nous content par le menu. Il ne me reste qu’à récupérer à temps le planeur, en révision chez Alexander Schleicher, ce qui sera fait in extremis grâce à la diligence de Christian Stuck (de Finesse Max, l’importateur des AS), toujours prêt à se dévouer et qui ira même me le chercher en Allemagne, m’évitant un sacré détour ! A lui, encore un grand merci…

En route !

Je pars donc comme prévu le lundi 8 mai au soir pour 2700 km de route sans histoire, si ce n’est une journée entière perdue à Algeciras en formalités de transit douanier aussi inutiles qu’inattendues de ce côté-ci du Détroit... pour arriver jeudi 11 à midi sur l’aéroport international de Ouarzazate (OZZ pour les intimes), pour assister à un spectacle insolite : l’Astir porté à bout de bras par une douzaine de bonnes volontés au-dessus du muret clôturant le terrain pour rejoindre celui-ci après sa première « chamelle » (les vaches sont rares dans le coin...) ! Le retour vers Chartres sera plus pénible que l’aller, malgré un passage de douane cette fois sans aucun problème, mais quelques soucis mécaniques : crevaisons, pannes de ventilateur... je pense que la prochaine fois le trajet se fera en vol !

Il y a donc là Didier Chevalier et quelques autres pilotes de Buno :  Henri Josse, Jeannot Fabrégas, Jean-Louis de Torcy se relaieront sur le Twin et l’Astir ; Yvon Laignel, de Saint-Gaudens, avec son DG 800 B, réussira de beaux vols dont l’un, de plus de 800 km comme prévu ; Henri Gabet, basé d’habitude à Fuentemilanos, se fera plaisir malgré quelques soucis techniques avec le DG 400 « VC » qu’il vient de prendre en main ; Stéphane Blondé, lui aussi vétéran des Cigognes, nous rejoint bientôt avec son Stemme, non sans avoir fait sensation en Espagne, à son habitude, par ses escales exotiques : terrain désaffecté de Caude (Teruel) qui n’avait sans doute pas vu un aéronef depuis des années, et base aérienne militaire d’Albacete, où les Mirage ont maintenant l’habitude de se pousser quand ils voient un Stemme ; ainsi que Jacques Noël venu de Gap en RF 9 et qui fera voler plusieurs copilotes. Jacques Pouette, qui connaît bien le pays (il a participé à plusieurs stages à Beni-Mellal) aura la lourde tâche de remorquer avec le Rallye 180 qui peine visiblement avec les 1153 m d’altitude et la température qui dépasse souvent les 30°C : il s’en acquittera au mieux avec un dévouement fort apprécié et sera pour beaucoup dans nos excellentes relations avec les personnes de l’aérodrome.

Sans oublier tous ceux qui nous rendront visite quelques jours, dont Gérard Bocage et les membres du CRVVA, Lhabbib Essaidi, Marc Nombret en tête, et d’autres vélivoles venus de France par ligne régulière ou par la route : Gérard Herbaud et Claude Calleja viendront également refaire connaissance avec des cieux qu’ils connaissent déjà bien… Robert Prat se fera malheureusement piéger au décollage par un rafale subite de vent de travers et la faible défense directionnelle du DG 800 à la mise des gaz, endommageant légèrement l’aile sur une balise, mais reviendra certainement l’an prochain voler pour de bon !

Une  journée marocaine

Dans une ambiance détendue et sympathique, la journée type commence par le petit déjeuner au bord de la piscine de l’hôtel La Vallée (simple mais très accueillant), on profite de la température encore agréablement fraîche pour prendre des forces, mais attention ! le décalage horaire aidant, à 8 heures du matin un coup d’œil de la terrasse nous apprend que les cumulus sont déjà formés au-dessus du M’Goun enneigé (4071 m)… il est grand temps de rejoindre le terrain.

Un passage au bureau de piste pour saluer les contrôleurs (très sympathiques, il ne sont que trois pour assurer le contrôle d’approche et d’aérodrome 7 jours sur 7, toute la journée et parfois la nuit, mais ils se mettront en quatre pour nous faciliter les vols !), confirmer les plans de vols, et on va préparer les machines. Le soleil tape déjà sérieusement…

Vers 10 ou 11 heures (ça fait midi ou 1h à l’heure française), la biroute commence à se réveiller, la convection déclenche en plaine aussi, et les sacs poubelle prennent leur envol (eh oui, ici pas de vautours ; mais curieusement, les sacs plastiques balisent aussi très bien les pompes et sont toujours bien centrés – ça doit être l’instinct !). Il faut vite décoller pour fuir le vent de travers qui se lève (la piste est orientée NW/SE, et la brise est le plus souvent du sud-ouest, pour une vingtaine de nœuds, sans compter les rafales), la turbulence thermique dans les basses couches au décollage, et la chaleur (mais attention, une fois là-haut - plafond moyen de 5000 m QNH, maxi 5900 m - il fera dans les –10°C : tenue trop légère déconseillée !).

Les pompes sont couramment de 4 à 5 m/s (on aurait pu s’attendre à plus vu les plafonds, mais c’est déjà pas mal !),  sont parfois balisées d’un tourbillon de sable de plus de 100 m de haut, les cumulus sont au rendez-vous presque tous les jours, limités à l’Atlas ou généralisés sur la plaine ; même en thermique pur il y aura souvent quelques barbules le long de la crête délimitant la confluence avec l’air plus humide venu du nord. Au vol thermique s’ajoute du dynamique, et même parfois de l’onde (mais quelle onde ! grandiose), le tout dans une zone étendue et variée (haute montagne, moyens reliefs, désert) et avec de magnifiques paysages, toutes les nuances du désert, jaune, ocre, marron ou noir, entrecoupé du vert profond des palmeraies qui accompagnent le moindre oued desséché, et un relief lunaire…

L’atterrissage est délicat pour les mêmes raisons : il n’y a que la piste en dur, large, mais bien garder l’axe, sinon gare aux balises ! Mais la brise, de direction variable selon l’emplacement des derniers cumulus du soir, se calme à l’approche du coucher du soleil, qui intervient à 19h10 / 19h30 en cette saison. Les thermiques, à peine raréfiés, gardent la même intensité pratiquement jusqu’à la nuit : plus de 10  heures d’instabilité, durée exceptionnelle sous ces latitudes !

Le temps de faire un sort aux moucherons des bords d’attaque (peu nombreux ici) et de se reposer d’un vol où l’on s’en est mis plein les yeux, toute la bande se retrouve vers 22 h, assis sur de somptueux coussins brodés, pour déguster le tajine ou le couscous au son exotique (mais un peu répétitif) du musicien qui chante des mélodies berbères tout en grattant son luth.
Et, après une nuit de repos bien méritée, demain ça recommence ! A moins que, saturé de vol, on ne décide de s’accorder une pause et d’aller faire les souks, visiter les kasbahs ou flâner à l’ombre rafraîchissante des palmeraies.

Transformer l’essai

Bien sûr, un seul séjour de quelque 3 semaines ne suffit pas pour se faire une idée exacte des possibilités du Sud marocain ; mais ces conditions sont corroborées par celles rencontrées dans l’ensemble  par les expéditions précédentes ; et les sondages et photos satellitaires sont là pour nous confirmer que non seulement ces conditions n’ont pas été l’exception mais qu’elles semblent s’y maintenir avec une constance remarquable, vraisemblablement de mi-mai à fin septembre ; l’hiver reste à découvrir mais recèle sans doute, toutes proportions gardées, des possibilités de vol intéressantes.

L’expédition de cette année a confirmé la qualité de l’aérologie, concrétisé le gisement potentiel de la région en insignes de 1000 km ou en vols de records, et levé les quelques doutes qui pouvaient subsister quant à l’utilisation de planeurs non autonomes… Mais surtout, en collaboration étroite avec les autorités locales et le club de Beni-Mellal, est née une volonté affirmée de développer progressivement un centre permanent, à l’image de ce qui existe en Espagne ou aux antipodes, pour accueillir dans de bonnes conditions tous ceux qui seraient tentés eux aussi de découvrir de nouveau paradis du vol à voile.

Cela passe sans doute par la création d’une plate-forme dédiée et mieux adaptée au vol à voile : l’aéroport international est une bonne base de départ mais supporterait difficilement une activité de planeurs plus intense ; de plus il est à une trentaine de kilomètres des premières pentes, d’où de longs remorqués si l’on veut profiter du déclenchement précoce sur le relief. Les emplacements ne manquent pas, les alentours de Ouarzazate étant majoritairement plats et dégagés, tout au plus faudrait-il aménager la surface en dégageant quelques pierres. Une des innombrables kasbahs abandonnées qu’on trouve dans chaque village, et dont les tours crénelées dominent de leur ocre éclatant le vert calme des oasis, pourrait une fois retapée faire office de tour de contrôle et d’hébergement authentique pour ceux que les grands hôtels ne tentent pas…

Cela passe évidemment aussi par un équipement en matériels et par un encadrement compétent, par des évènements phares comme le championnat de motoplaneurs que suggère André Martin, ou des randonnées sur le modèle de la Route des Cigognes, avec le soutien de remorqueurs pour les planeurs non motorisés, et tout le retentissement médiatique voulu… tout ceci ne se fera pas en un an mais n’est nullement hors de portée, les organisateurs du séjour de cette année y pensent déjà sérieusement et sont motivés pour s’y investir à fond ; il est déjà prévu de reconduire l’opération de cette année, en principe au mois de mai 2001, avec la possibilité d’un trajet en vol à voile pour les planeurs autonomes, voire non motorisés si leur nombre justifie l’assistance d’un ou plusieurs remorqueurs.

Je ne me risquerai pas à une comparaison avec les paradis vélivoles déjà célèbres que sont l’Australie, l’Afrique du Sud ou le Nevada et que je ne connais que de réputation, mais ce paradis-là est non pas aux antipodes mais à portée d’aile, aux marches de l’Europe et à quelque 2000 petits kilomètres de chez nous…

Alors, pourquoi ne pas tenter l’expérience l’an prochain ?

Denis FLAMENT
PS : les personnes intéressées sont invitées, d’ores et déjà, à se faire connaître !

la suite...