Yvon Laignel connaît bien le vol de montagne puisqu’il est basé à St-Gaudens (club situé aux pieds des Pyrénées qui vous accueillera bien chaleureusement si vous voulez découvrir la montagne). Il nous livre ses commentaires
Du 6 au 22 mai, j’ai donc essayé de mettre en pratique les connaissances que j’ai acquises sur les Pyrénées grâce à mon excellent professeur et ami Robert Prat. En effet, il y a beaucoup de similitudes entre le massif des Pyrénées et le Haut-Atlas marocain : orientation sensiblement est/ouest, même limite climatiques avec au nord, un climat plus humide dû aux rentrées maritimes par vent de nord ouest, un terrain plus bas, une température élevée mais à laquelle il manque encore 5 à 10°C pour crever l’inversion et plafonds sont moins élevés, la brise de nord drainant l’humidité de la plaine (de 1500 a 2000m QNH sur les Pyrénées, on peut pratiquement tout transposer 1000 à 1500 m plus haut pour ce qui est de l’Atlas).
Au sud, que ce soit en Aragon ou aux abords du Sahara, l’air devient sec et chaud, les vents dominants sont le plus souvent orientés du secteur sud ; venant du désert, ils entrent en conflit avec le climat du nord sur les sommets de l’Atlas. C’est la classique confluence, avec des rues de cumulus 1000 m au-dessus des sommets côté sud (ce qui fait plus de 5000 m quand même pour l’Atlas !), accrochant les reliefs côté nord.
Les pentes sud bénéficient de la brise, et le vol dynamique y est possible surtout si un soupçon de vent du gradient renforce le phénomène, soit sur les crêtes rectilignes autour de l’Ighil M’Goun (l’équivalent du parcours du combattant au nord de Jaca), soit sur les premiers reliefs, biens organisés eux aussi, de Boumalne à Er Rachidia (en bordure de plaine comme la Sierra de Guara et les sierras extérieures des Pyrénées).
En plaine, plus au sud, les thermiques sont puissants, souvent en pur,
les Vz élevées, les plafonds sont couramment supérieurs
à 4 500 m. Quand l’instabilité de la masse d’air augmente,
des orages éclatent sur le haut relief alors que les cumulus règnent
sur les premiers djebels / sierras ou sur la plaine. Parfois une perturbation
passe et le vent de nord-ouest se déverse par dessus les reliefs
enchapeautés, s’il est assez fort l’onde est là au rendez-vous,
avec des ressauts quasi-continus sur des centaines de km.
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07-mai 3h31 343 103 08-mai 6h52 733 109 09-mai 3h40 336 98 10-mai 8h04 743 97 13-mai 7h55 792 100 14-mai 3h40 260 104 15-mai 6h58 720 102 17-mai 7h38 696 94 18-mai 3h43 304 85 22-mai 8h35 630 79 |
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La comparaison s’arrête là, et des différences sensibles
existent. L’échelle d’abord : 400 km pour les Pyrénées,
1000 km de Perpignan jusqu’au bout des Cantabriques. 600 km pour le Haut-Atlas,
2 000 km d’Agadir jusqu’à la Tunisie (Atlas saharien et Aurès,
s’élevant encore vers 2000 m). Mais curieusement, les 1000 m supplémentaires
de l’Atlas ne frappent pas. Le sommet du M’Goun, qui domine Ouarzazate
du haut de ses 4071 m enneigés, est une crête herbeuse de
pente modérée (du moins sa face sud) qui ressemble plus à
la Serre de Montdenier qu’aux Ecrins ! 200 km plus à l’est, le Jbel
Ayachi n’est qu’une grosse montagne de Lure malgré ses 3737 m. Entre
les deux, c’est un relief émoussé, mais entaillé de
gorges abruptes ; à 3500 m, ne pas y faire confiance à l’alti,
on s’y sent parfois très bas, 500 m au-dessus d’un plateau avec
des dégagements lointains et pas évident.
L’exposition est légèrement différente, les faces
sud-sud-est de l’Atlas étant favorisées le matin, mais passent
à l’ombre en milieu d’après midi, surtout s’il y a des congestus
sur les sommets, il faudra se rabattre sur les faces nord-ouest du Jbel
Sarhro au sud de la plaine du Dadès. Enfin les gorges taillées
par des oueds le plus souvent à sec dessinent un relief beaucoup
moins bien organisé que les larges vallées transversales
des Pyrénées, diminuant l’action des brises.
Pour effectuer un grand vol, il faut partir tôt (très tôt, ici, avec le décalage horaire), et les thermiques de plaine ne sont pas encore au rendez-vous. Que faire ? Attendre 2 heures de plus et le vol sera court, ou aller chercher les premières pentes à 30 km au Nord du terrain où les thermiques commencent à s’établir vers 8 à 9 h.
J’ai noté un point de départ qui semble convenir, par 31°12 N et 006°51W, c’est un monticule de terre ocre qui ressemble à une termitière géante (300 ou 400 m de haut environ) , un oued asséché en cette saison, venant du sud, canalise la brise vers cette cuvette bordée par cette colline et par une petite vallée descendant de la montagne. Au moteur ou en remorqué, viser d’y arriver vers 2000 m (850 m QFE). Les zones vertes qui bordent l’oued, par contraste avec le sol aride, déclenchent souvent des ascendances bien utiles. Les faces S/E alimentées par la brise vous montent entre 2500m et 3000m, en vous décalant vers le N/E , suivez les reliefs sans chercher à accrocher les plus hauts sommets situés au Nord, vous perdriez beaucoup de temps, l’effet de brise s’arrêtant généralement au niveau des premières crêtes.
Choisissez de préférence votre 1er point de virage vers
l’Est (l’air est plus sec, le soleil chauffe depuis une bonne heure, et
vous bénéficiez souvent d’un vent arrière) ; en profitant
de l’effet de pente, cheminez rapidement sur les premiers reliefs,
vous constaterez que les entrées de petites vallées, les
cuvettes formées par le relief orientées S-S/O et au soleil
sont bonnes. N’hésitez pas à transiter de pointes à
pointes ou cuvettes bien orientées sans chercher à suivre
le relief à l’ombre ou sous le vent ; spiralez dans les varios réguliers
et supérieurs à 2ms, les thermiques démarrent régulièrement
à la verticale des pics au soleil.
En maintenant une altitude de 2500m à 3000m (QNH), la moyenne
dépasse aisément les 100 km/h à 120kmh ; par sécurité,
ayez toujours le dégagement vers la plaine , ne pénétrez
pas dans les vallées profondes à l’intérieur de l’Atlas
sans vous être assuré de ce repli. La traversée de
la vallée du Dadès n’est pas trop difficile, les pointes
est des gorges donnent bien. L’après midi le retour est souvent
plus délicat à cet endroit, car les pentes sont moins bien
exposées, des orages peuvent se former et de l’air plus humide arrivant
du Nord par cette vallée, le plafond baisse.
De ces grosses masses noires, quand le plafond est élevé, tombe un rideau de neige assez dense, mais en vous approchant de plus près on s’aperçoit qu’elle s’évapore avant de toucher le sol ; l’air est tellement sec que l’évaporation est quasi immédiate. La première fois que j’ai observé ce phénomène, j’ai exécuté un grand détour pour contourner le rideau de pluie ( plus de 50km), la seconde fois, je suis passé carrément dessous, à hauteur respectable des zones les plus noires (ce n’était quand même pas des Cu-nimbs) il tombait une pluie serrée mais fine , et là, ô surprise ! le vario était positif, les gouttes ne paraissaient pas adhérer sur les ailes, et bien vite, j’ai retrouvé le soleil sans perdre de temps.
Ci-dessous un tableau des vols que j’ai réalisés : 5857 km en 63h et 11 vols ; vélivole moyen [et trop modeste NDLR], je me suis régalé, après avoir réussi mes 750 comme prévu le 13 mai (792km exactement), j’ai tenté deux fois les mille, sans réussite par manque d’expérience dans le choix des points de virage ; et puis il y a eu des jours de mauvais temps, mais surtout un fort vent de sud-ouest qui forcissait en début d’après midi, en plein travers de l’axe de piste ce qui nous a beaucoup gêné pour les atterrissages et les décollages et, plus ennuyeux, a fait annuler des vols d’initiation.
Il fallait aussi prouver que les vaches (pardon, les chamelles...) ne posaient pas de problème, Didier s’y est employé avec dévouement et l’a amplement prouvé, se posant à 200 m de la piste, puis à 5 km, 2 ou 3 fois sur le terrain de Boumalne (réception royale de la gendarmes royaux et des militaires, qui ont servi le thé à la menthe aux valeureux pilotes, nous ont aidé à démonter et nous ont même ouvert la route du retour pendant ½ h tous gyrophares en action, et bail de foule assuré). Son dernier essai à 25 km a donné lieu à un dépannage folklorique, le 4x4 et une équipe marocaine nombreuse et musclée, prévue pour l’occasion, n’ont pas été de trop pour traîner la remorque lors des franchissements d’oued de la piste. Et une pierre malencontreuse ayant abîmé le train à l’atterrissage, c’est avec quelque jours d’avance que le Twin repartira, avec Didier qui s’emploiera aussitôt à le remettre en état. Incident qui, on en conviendra, peut arriver n’importe où.
Dans l’ensemble les pilotes ont été très heureux de leur séjour, pour ma part je ne regrette qu’une chose c’est que la très belle piste goudronnée ne soit pas adaptée au vol à voile ( vent de travers, balises proéminentes, trafic vols internationaux ), si à l’avenir il était possible de se rapprocher de l’Atlas sur une vélisurface d’où l’on pourrait décoller ou atterrir plus sereinement ça serait formidable.
Que dire des Marocains, ce sont des personnes très accueillantes,
très heureuses de constater que le développement de cette
activité aérienne peut être une source bénéfique
pour le tourisme. Si leurs administrations paraissent encore un peu pesantes
pour nous européens, c’est le temps qui aplanira ces petits problèmes.
Les paysages sont superbes, nous avons fait quelques balades vers Zagora
et sur la route de Boumalne, partout les Oasis sont un rafraîchissement
dans ce sable et terre ocre ou rouge.
J’ignore encore si l’année prochaine je participerai à
nouveau, la route est un peu longue et les années se font sentir,
mais si une plate-forme adaptée est mise en œuvre, d’ici là
le démon reviendra bien aussi virulent que cette saison. A tous
ceux qui envisageraient ce séjour je garantis des souvenirs impérissables...