Le Haut-Atlas vu par un pyrénéen

Yvon Laignel connaît bien le vol de montagne puisqu’il est basé à St-Gaudens (club situé aux pieds des Pyrénées qui vous accueillera bien chaleureusement si vous voulez découvrir la montagne). Il nous livre ses commentaires


C’est par pur hasard que je me suis intéressé à une annonce du forum de la FFVV en date du 23/02/00. Didier Chevalier proposait un stage de vol à voile sur le terrain de Ouarzazate au Maroc pour le mois de mai. A cette époque je n’avais pas encore reçu le DG 800 B en commande, mais malgré le risque de ne pas être livré dans les délais, je contactai Didier Chevalier pour m’y inscrire. En 1994 déjà lors d’un voyage touristique dans cette région du Maroc, j’avais pu admirer des cumulus sur l’Atlas à plus de 4000m et je me souviens d’avoir rêvé qu’un jour, peut être ? Le départ pour Ouarzazate ayant été programmé pour le 3 mai, j’ai un peu bousculé le fournisseur du DG 800 B pour être livré à temps, ce qui fut fait le 15 avril.

Du 6 au 22 mai, j’ai donc essayé de mettre en pratique les connaissances que j’ai acquises sur les Pyrénées grâce à mon excellent  professeur et ami Robert Prat. En effet, il y a beaucoup de similitudes entre le massif des Pyrénées et le Haut-Atlas marocain : orientation sensiblement est/ouest, même limite climatiques avec au nord, un climat plus humide dû aux rentrées maritimes par vent de nord ouest, un terrain plus bas, une température élevée mais à laquelle il manque encore 5 à 10°C  pour crever l’inversion et plafonds sont moins élevés, la brise de nord drainant l’humidité de la plaine (de 1500 a 2000m QNH sur les Pyrénées, on peut pratiquement tout transposer 1000 à 1500 m plus haut pour ce qui est de l’Atlas).

Au sud, que ce soit en Aragon ou aux abords du Sahara, l’air devient sec et chaud, les vents dominants sont le plus souvent orientés du secteur sud ; venant du désert, ils entrent en conflit avec le climat du nord sur les sommets de l’Atlas. C’est la classique confluence, avec des rues de cumulus 1000 m au-dessus des sommets côté sud (ce qui fait plus de 5000 m quand même pour l’Atlas !), accrochant les reliefs côté nord.

Les pentes sud bénéficient de la brise, et le vol dynamique y est possible surtout si un soupçon de vent du gradient renforce le phénomène, soit sur les crêtes rectilignes autour de l’Ighil M’Goun (l’équivalent du parcours du combattant au nord de Jaca), soit sur les premiers reliefs, biens organisés eux aussi, de Boumalne à Er Rachidia (en bordure de plaine comme la Sierra de Guara et les sierras extérieures des Pyrénées).

En plaine, plus au sud, les thermiques sont puissants, souvent en pur, les Vz  élevées, les plafonds sont couramment supérieurs à 4 500 m. Quand l’instabilité de la masse d’air augmente, des orages éclatent sur le haut relief alors que les cumulus règnent sur les premiers djebels / sierras ou sur la plaine. Parfois une perturbation passe et le vent de nord-ouest se déverse par dessus les reliefs enchapeautés, s’il est assez fort l’onde est là au rendez-vous, avec des ressauts quasi-continus sur des centaines de km.
 

Vols YL
date   durée km  km/h
06-mai 3h12  300 97 
07-mai 3h31  343 103 
08-mai 6h52  733 109 
09-mai 3h40  336 98 
10-mai 8h04  743 97 
13-mai 7h55  792 100 
14-mai 3h40  260 104 
15-mai 6h58  720 102 
17-mai 7h38  696 94 
18-mai 3h43  304 85 
22-mai 8h35  630 79 
total  63h28 5857  - 

La comparaison s’arrête là, et des différences sensibles existent. L’échelle d’abord : 400 km pour les Pyrénées, 1000 km de Perpignan jusqu’au bout des Cantabriques. 600 km pour le Haut-Atlas, 2 000 km d’Agadir jusqu’à la Tunisie (Atlas saharien et Aurès, s’élevant encore vers 2000 m). Mais curieusement, les 1000 m supplémentaires de l’Atlas ne frappent pas. Le sommet du M’Goun, qui domine Ouarzazate du haut de ses 4071 m enneigés, est une crête herbeuse de pente modérée (du moins sa face sud) qui ressemble plus à la Serre de Montdenier qu’aux Ecrins ! 200 km plus à l’est, le Jbel Ayachi n’est qu’une grosse montagne de Lure malgré ses 3737 m. Entre les deux, c’est un relief émoussé, mais entaillé de gorges abruptes ; à 3500 m, ne pas y faire confiance à l’alti, on s’y sent parfois très bas, 500 m au-dessus d’un plateau avec des dégagements lointains et pas évident.
L’exposition est légèrement différente, les faces sud-sud-est de l’Atlas étant favorisées le matin, mais passent à l’ombre en milieu d’après midi, surtout s’il y a des congestus sur les sommets, il faudra se rabattre sur les faces nord-ouest du Jbel Sarhro au sud de la plaine du Dadès. Enfin les gorges taillées par des oueds le plus souvent à sec dessinent un relief beaucoup moins bien organisé que les larges vallées transversales des Pyrénées, diminuant l’action des brises.

Pour effectuer un grand vol, il faut partir tôt (très tôt, ici, avec le décalage horaire), et les thermiques de plaine ne sont pas encore au rendez-vous. Que faire ? Attendre 2 heures de plus et le vol sera court, ou aller chercher les premières pentes à 30 km au Nord du terrain où les thermiques commencent à s’établir vers 8 à 9 h.

J’ai noté un point de départ qui semble convenir, par 31°12 N et 006°51W, c’est un monticule de terre ocre qui ressemble à une termitière géante (300 ou 400 m de haut environ) , un oued asséché en cette saison, venant du sud, canalise la brise vers cette cuvette bordée par cette colline et par une petite vallée descendant de la montagne. Au moteur ou en remorqué, viser d’y arriver vers 2000 m (850 m QFE). Les zones vertes qui bordent l’oued, par contraste avec le sol aride, déclenchent souvent des ascendances bien utiles. Les faces S/E alimentées par la brise vous montent entre 2500m et 3000m, en vous décalant vers le N/E , suivez les reliefs sans chercher à accrocher les plus hauts sommets situés au Nord, vous perdriez beaucoup de temps, l’effet de brise s’arrêtant généralement au niveau des premières crêtes.

Choisissez de préférence votre 1er point de virage vers l’Est (l’air est plus sec, le soleil chauffe depuis une bonne heure, et vous bénéficiez souvent d’un vent arrière) ; en profitant de l’effet de pente, cheminez  rapidement sur les premiers reliefs, vous constaterez que les entrées de petites vallées, les cuvettes formées par le relief orientées S-S/O et au soleil sont bonnes. N’hésitez pas à transiter de pointes à pointes ou cuvettes bien orientées sans chercher à suivre le relief à l’ombre ou sous le vent ; spiralez dans les varios réguliers et supérieurs à 2ms, les thermiques démarrent régulièrement à la verticale des pics au soleil.
En maintenant une altitude de 2500m à 3000m (QNH), la moyenne dépasse aisément les 100 km/h à 120kmh ; par sécurité, ayez toujours le dégagement vers la plaine , ne pénétrez pas dans les vallées profondes à l’intérieur de l’Atlas sans vous être assuré de ce repli. La traversée de la vallée du Dadès n’est pas trop difficile, les pointes est des gorges donnent bien. L’après midi le retour est souvent plus délicat à cet endroit, car les pentes sont moins bien exposées, des orages peuvent se former et de l’air plus humide arrivant du Nord par cette vallée, le plafond baisse.

De ces grosses masses noires, quand le plafond est élevé, tombe un rideau de neige assez dense, mais en vous approchant de plus près on s’aperçoit qu’elle s’évapore avant de toucher le sol ; l’air est tellement sec que l’évaporation est quasi immédiate. La première fois que j’ai observé ce phénomène, j’ai exécuté un grand détour pour contourner le rideau de pluie ( plus de 50km), la seconde fois, je suis passé carrément dessous, à hauteur respectable des zones les plus noires (ce n’était quand même pas des Cu-nimbs) il tombait une pluie serrée mais fine , et là, ô surprise ! le vario était positif, les gouttes ne paraissaient pas adhérer sur les ailes, et bien vite, j’ai retrouvé le soleil sans perdre de temps.

Ci-dessous un tableau des vols que j’ai réalisés : 5857 km en 63h et 11 vols ; vélivole moyen [et trop modeste NDLR], je me suis régalé, après avoir réussi mes 750 comme prévu le 13 mai (792km exactement), j’ai tenté deux fois les mille, sans réussite par manque d’expérience dans le choix des points de virage ; et puis il y a eu des jours de mauvais temps, mais surtout un fort vent de sud-ouest qui forcissait en début d’après midi, en plein travers de l’axe de piste ce qui nous a beaucoup gêné pour les atterrissages et les décollages et, plus ennuyeux, a fait annuler des vols d’initiation.

Il fallait aussi prouver que les vaches (pardon, les chamelles...) ne posaient pas de problème, Didier s’y est employé avec dévouement et l’a amplement prouvé, se posant à 200 m de la piste, puis à 5 km, 2 ou 3 fois sur le terrain de Boumalne (réception royale de la gendarmes royaux et des militaires, qui ont servi le thé à la menthe aux valeureux pilotes, nous ont aidé à démonter et nous ont même ouvert la route du retour pendant ½ h tous gyrophares en action, et bail de foule assuré). Son dernier essai à 25 km a donné lieu à un dépannage folklorique, le 4x4 et une équipe marocaine nombreuse et musclée, prévue pour l’occasion, n’ont pas été de trop pour traîner la remorque lors des franchissements d’oued de la piste. Et une pierre malencontreuse ayant abîmé le train à l’atterrissage, c’est avec quelque jours d’avance que le Twin repartira, avec Didier qui s’emploiera aussitôt à le remettre en état. Incident qui, on en conviendra, peut arriver n’importe où.

Dans l’ensemble les pilotes ont été très heureux de leur séjour, pour ma part je ne regrette qu’une chose c’est que la très belle piste goudronnée ne soit pas adaptée au vol à voile ( vent de travers, balises proéminentes, trafic vols internationaux ), si à l’avenir il était possible de se rapprocher de l’Atlas sur une vélisurface d’où l’on pourrait décoller ou atterrir plus sereinement ça serait formidable.

Que dire des Marocains, ce sont des personnes très accueillantes, très heureuses de constater que le développement de cette activité aérienne peut être une source bénéfique pour le tourisme. Si leurs administrations paraissent encore un peu pesantes pour nous européens, c’est le temps qui aplanira ces petits problèmes. Les paysages sont superbes, nous avons fait quelques balades vers Zagora et sur la route de  Boumalne, partout les Oasis sont un rafraîchissement dans ce sable et terre ocre ou rouge.
J’ignore encore si l’année prochaine je participerai à nouveau, la route est un peu longue et les années se font sentir, mais si une plate-forme adaptée est mise en œuvre, d’ici là le démon reviendra bien aussi virulent que cette saison. A tous ceux qui envisageraient ce séjour je garantis des souvenirs impérissables...

Yvon LAIGNEL