Ce n'est pas un vol de record (distance de 750 km seulement en ligne droite, à peine plus de 900 km de parcours total)... c'est un vol intercontinental, mais des plus réduits (la largeur du détroit de Gibraltar est de moins de 14 km)... ce n'est pas une première (cela fait 12 ans que ce détroit est survolé régulièrement par les motoplaneurs de la Route des Cigognes)... il n'y a pas eu de conditions météorologiques exceptionnelles... et pourtant, c'est, je crois, l'un des vols les plus intéressants qu'il m'ait été donné de faire, un de ceux dont l'incertitude vous prend aux tripes, qui à l'atterrissage vous laissent un sentiment de jubilation et longtemps après un souvenir impérissable.
Car rejoindre Ouarzazate à Grenade en une seule étape est ambitieux... et l'est d'autant plus quand le temps se montre capricieux, laissant bien peu d'espoir de réussite, quand 2 heures et demi avant la nuit, à Tanger, il reste plus de 250 km à effectuer, avec le détroit de Gibraltar à franchir, et que depuis un bon moment on se traîne à moins de 500 m sol !
Dans ces conditions, atteundre le but fixé en vol à voile intégral (décollage mis à part, soit 5 petites minutes d'utilisation moteur et 1,5 litres consommés - 0,17 litres aux 100 km !) relève du miracle... mais le vol à voile recèle souvent des ressources inespérées là où on ne s'y attend plus, et les miracles, parfois, deviennent réalité !
Ce dimanche 10 juin 2001, il est temps de remettre le cap au nord...
A coup sûr, une fois passé le Haut-Atlas, il va falloir se
réhabituer à des plafonds bas et à des conditions
moins fumantes que dans le Sud marocain, véritable paradis vélivole
si près de chez nous mais encore si peu exploité ! Après
deux semaines passées à Ouarzazate et 9 vols de 1000 à
1350 km (dont 5 en 5 jours consécutifs !), direction Chartres, d'où
je suis parti en vol à voile le 23 mai un peu contraint et forcé,
voiture en panne... Heureusement l'ASH 26 E "DF", lui, ne m'a pas laissé
tomber, son hélice escamotable et son moteur rotatif ont répondu
présent quand il le fallait pour décoller mais aussi, en
quelques occasions, pour pallier les défaillances de la météo
! C'est dans ce vol à voile itinérant vers l'Espagne et a
fortiori le Maroc, aussi bien pourvus de courants ascendants que démunis
de remorqueurs, que l'on apprécie pleinement le planeur motorisé...
Le Haut-Atlas au départ de Ouarzazate
Au matin, depuis la terrasse de l'hôtel, j'admire la vue sur l'Atlas ; la brume sèche saharienne qui souvent ici réduit la visibilité n'a pas résisté à la situation orageuse de ces deux derniers jours qui semble avoir lessivé la masse d'air ; c'est reparti, sans doute, pour un ou deux jours de thermiques purs (qu'on se rassure, à Ouarzazate même par ces journées médiocres certains font des épreuves de mille bornes en triangle FAI !) avant une nouvelle semaine des plus fumantes... J'avais espéré profiter d'une de ces journées orageuses, de leur déclenchement précoce des thermiques sur l'Atlas, dès avant 9 h, et des conditions explosives des cumulus préorageux des premières heures de la convection, pour me retrouver à midi à l'extrémité de l'Atlas, 450 km au nord-est, comme je l'avais fait 3 jours auparavant ! Il faudra me contenter d'un temps plus stable.
Par chance devant l'hôtel un taxi est prêt à partir (c'est-à-dire qu'il y a déjà 7 passagers dedans et qu'on n'attend plus que moi !) ; il me dépose bientôt à l'aérodrome avec mon barda, qu'il va falloir faire tenir dans le planeur ! Linge et nécessaire de toilette, sac de couchage, ce qu'il me reste de provisions de boisson énérgétique en poudre et de barres de céréales, gourde, quelques bouteilles d’eau, cartes aéronautiques et fiches VAC indispensables, appareil photo, téléphone, ordinateur, nécessaire d’amarrage, 3 bidons d’huile, pompe de remplissage essence et housses Jaxida complètes... il n’y a plus beaucoup d’espace vide dans l’ASH 26 quand j’arrive enfin à fermer la verrière ! La position de pilotage est un peu déroutante au début, étant avancé au maximum, et je ne peux pratiquement plus bouger, mais le confort reste acceptable, n’ayant sacrifié ni le dossier de siège ni le coussin... et aucune commande de vol ne semble bloquée...
Le plan de vol a été déposé la veille vers Grenade, via les cheminements VFR d'Er Rachidia, Boulemane, Fès et Tétouan, avec Tanger et Tétouan comme aérodromes douaniers de déroutement (on ne sait jamais...). Il me reste à m'acquitter des taxes d'atterrissages, d'ailleurs modiques (moins de 400 dirhams soit environ 40 € pour tout le séjour) et à prendre congé des contrôleurs qui se sont montrés fort coopératifs avec nous. Il faut dire que, si des avions de ligne atterrissent ici, le trafic est quand même relativement réduit... heureusement pour nous car il n'y a que la piste en dur pour tous. La gendarmerie royale se montre tout aussi efficace : on vient au planeur me demander mon passeport que le gendarme me ramènera quelques minutes plus tard, dûment visé et tamponné.
Le DG 800 d'Yvon Laignel sur l'Ighil M'Goun (4071 m)
Dominant maintenant toute la chaîne, j'aperçois au loin dans la plaine, au nord-ouest, de petits cumulus (ou sont-ce des strato-cumulus ?), témoins d'une masse d'air plus fraiche qui arrive de l'Atlantique, mais dont le plafond apparemment très bas ne m'encourage pas à prendre une route directe au nord via Beni-Mellal, siège du Centre Royal de Vol à Voile de l'Atlas, seul club marocain jusqu'à présent. La route du nord-est, en suivant le Haut-Atlas, est plus longue de quelque 200 km mais plus sûrement propice au vol à voile.
Avec l'arrivée d'un flux de nord-ouest la confluence s'établit
logiquement plus au sud que les jours précédents, sur les
premières lignes de crêtes de l'Atlas en bordure de la plaine.
En effet, de petites barbules apparaissent devant moi et, après
le survol des gorges du Dadès, je trouve un excellent cheminement
sur les faces sud du relief (qui ici paraît presque plat, mais ne
pas s'y tromper : il est à plus de 2500 m d'altitude !); la confluence
n'est matérialisée que par de rares nuelles, mais le vario
reste positif en ligne droite...
Le vol se poursuit sans encombres jusqu'à l'extrémité est du Jbel Ayachi (3737 m), par le travers de Midelt, où je gratte au maximum les derniers petits cumulus pour refaire le plein d'altitude (4500 m) avant de quitter le Haut-Atlas. Sur les petites crêtes qui mènent au Jbel Bou Nacer (montagne de l'aigle, dernier relief du Moyen Atlas avec 3340 m), après un vol plané de 50 km, je retrouve des varios positifs mais le plafond est déjà descendu à 4000 m. Obliquant au nord-ouest, le vol plané continue et je me retrouve par le travers du Jbel Bou Iblane face à une mer de nuages... ce sont les cumulus bas que j'apercevais ce matin !
Le Jbel Bou Iblane, au nord-est du Moyen Atlas
Il est 14 heures, près de la moitié du chemin a été
parcourue, mais à partir de maintenant ce n'est plus du tout le
même vol à voile : le plafond descend bientôt à
1200 m QNH (500 à 1000 m sol), face à un vent de nord-ouest
de 30 km/h dont on se passerait bien, et, pour couronner le tout, le soleil
disparaît derrière un banc d'altocumulus d'une centaine de
kilomètres de large qui semble barrer la route : il s'agit sans
doute d'un front froid très atténué - je l'avais repéré
sur les cartes météo consultées la veille dans l'un
des cyber-cafés de Ouarzazate.
Accrochage sur les premières pentes du Haut-Atlas
J'avance tant bien que mal, grattant la moindre pompe, avec des vitesses ascensionnelles de 1 ou 2 m/s ; heureusement ici les vallées sont assez larges et les champs ne manquent pas, mais ce n'est pas le cas plus au nord, dans l'intérieur du Rif, en direction de Tétouan, où d'ailleurs le plafond n'est guère plus haut ; heureusement j'arrive à la fin du voile nuageux et le soleil réapparaît. Du lac d'Ourtzarh, je tente de remonter une vallée au nord vers l'intérieur du Rif ; le relief est accroché mais si j'arrive à coller au plafond cela doit passer, et avec ce vent j'ai l'espoir de pouvoir progresser en m'appuyant sur les faces ouest. Hélas ma tentative se solde par un point bas à 700 m, en limite du local des derniers champs de la vallée, et, après une patiente remontée à 1200 m, je préfère obliquer de nouveau plus à l'ouest, non loin du terrain de Ouezzane, là où le sol est plus bas et le terrain plus accueillant que dans le Rif (dont j'ai gardé un souvenir assez désagréable à l'aller, avec une dégueulante de -10 m/s !). On n'est plus à un détour près...
Traversée du front au lac d’Ourtzarh, vers Tanger
A l'approche de l'océan le plafond continue de descendre lentement mais sûrement ; à 20 km de Tanger il n'y a plus que 700 m à peine avec au mieux du zéro positif ; même les pentes des collines ne donnent rien, car le vent est devenu très faible, maintenant qu'on en aurait besoin ! J'ai déballasté depuis longtemps, cependant le poids du moteur se fait sentir... Mais je ne vais quand même pas le jeter par dessus bord, d'autant plus que je risque fort d'en avoir besoin d'ici peu !
Il est près de 17 heures (c'est-à dire 19 h à l'heure
espagnole), le GPS m'indique encore 250 km à parcourir pour Grenade,
la situation paraît compromise... J'envisage un instant de me poser
à Tanger, mais j'en suis à peine en local, et quitte à
devoir faire un peu de vol moteur pour franchir le détroit autant
le faire ce soir, pour être débarassé des contraintes
douanières, en allant au moins jusqu'à Jerez de la Frontera,
terrain international également. Retardant au maximum l'échéance
fatidique où il me faudra déballer le sac à dos pour
sortir l'hélice salvatrice, je poursuis vers le nord-est en direction
de Ceuta. C'est alors qu'au delà des crêtes du Jbel el Haouz
(un relief de 838 m orienté nord-sud en bordure de la côte
méditerranéenne, au nord de Tétouan) j'aperçois
un nuage plus haut que les autres... serait-ce un rotor ? Pour le savoir
encore faudrait-il monter suffisamment haut pour franchir le relief, or
ça plafonne toujours à 800 m malgré le sol qui remonte...
Passage en onde avant de traverser le détroit vers l’Espagne
Sur le Jbel Tsetouira (665 m) je gratte un 0,5 m/s qui me hisse péniblement à 900 m, dans l'espoir de pouvoir atteindre la face ouest du Jbel el Haouz... aussitôt après, c'est une soudaine descendance à - 3 m/s ! C'est plutôt bon signe, car si ça chute tant, ça doit bien monter quelque part ! Effectivement, peu après, j'ai l'heureuse surprise de retrouver du 1,5 m/s positif, avec le calme caractéristique de l'écoulement laminaire : l'onde est bien là, et plus tôt que prévu ! Le vent qui était quasi-nul dans les basses couches est soudain réapparu, 30 à 40 km/h d'ouest, suffisant pour déclencher un ressaut derrière un relief pourtant assez insignifiant... A 1400 m, je pars vent arrière vers la crête principale qui, en phase avec le système ondulatoire, me donne 1800 m, puis sans surprise sous le vent de celle-ci une dégueulante à -7 m/s suivi d'un ressaut de 2 m/s moyen. Curieusement le rotor que j'avais aperçu est plus loin à l'est, à la verticale de la côte, matérialisant sans doute le deuxième ressaut ; trop heureux de détenir une option pour la traversée du détroit en vol à voile, je n'irais pas voir jusque là-bas et travaille la plage ascendante, longue de quelques kilomètres,et qui tient toujours, faiblissant à peine...
En onde au-dessus de Tétouan
Je repense au trajet aller où, malgré un vent très faible (15 km/h de nord-est), l'ondulette près de Tarifa, à l'extrémité sud de la péninsule ibérique, m'avait permis de remonter de 1000 à 2000 m et de rejoindre sans moteur les faces est des reliefs marocains vers Tétouan et le Rif, et aux photos satellite où, ces derniers mois, j'avais plusieurs fois observé des nuages lenticulaires joignant l'Europe à l'Afrique par situation d'ouest : il doit y avoir dans le détroit un phénomène de Venturi entre les reliefs qui l'entourent (les fameuses colonnes d'Hercule !), qui renforce l'écoulement ou en modifie la direction, et doit créer assez souvent des ascendances mi-onde, mi confluence, loin des cumulus espagnols ou marocains, là où on s'attendrait plutôt à ne trouver que vol plané dans une atmosphère désespérément calme.
L'altimètre grimpe toujours... 2000... 3000... 4700 m... La vue est maintenant féérique sur les montagnes du Rif au sud, que je contemple de haut maintenant après avoir vainement tenté de les escalader d'en bas tout-à-l'heure, sur le rocher de Gibraltar au nord (de si haut je n'y apercevrai pas les singes !), sur le détroit qui ne m'a jamais paru si étroit ni les ferrys si petits, qu'on ne distingue que par leur long sillage blanc, et sur les sierras espagnoles loin au nord, après Estepona, surmontées des derniers cumulus du soir.
Il est 19h45 à l'heure de Grenade, où le soleil se couche à 21h30... il ne me reste donc qu'1h45 pour parcourir les derniers 220 km, c'est-à-dire au moins 125 km/h de moyenne ; j'ai acquis un précieux potentiel d'altitude, mais il ne faut maintenant plus traîner ; même au moteur je ne pourrais compter que sur une vitesse de croisière de 130 à 140 km/h ! Pour corser le tout, la fiche VAC m'indique que le contrôle du terrain de Grenade ferme à 20h30... Jerez est un peu plus près (130 km), mais bien plus mal situé pour le départ de l'étape du lendemain, car trop près de l'Atlantique. Autant poursuivre comme prévu au plan de vol...
Survol de l’enclave espagnole de Ceuta
C'est donc parti pour un vol plané de plus de 100 km, au cap 030°, vers la Serrania de Ronda ; le vent légèrement favorable et l'altitude aidant, je peux maintenir une vitesse sol de l'ordre de 180 km/h. Le cumulus que je visais ne donne pas grand'chose : je ne reprends qu'une centaine de mètres vers 1900 m. Par contre, sur la Torrecilla, par le travers de Ronda, 20 km plus au nord, un léger vent de nord-ouest me gratifie de la deuxième divine surprise de la journée : une ascendance dynamique (ou thermodynamique, car à cette heure-ci le soleil aussi est au nord-ouest), calme mais régulière à près de 2m/s, me remonte un peu au-dessus de la crête à 1600 m. Et si cette pente donne... la suivante doit marcher aussi ? Car je m'aperçois que la route est toute tracée : les sierras sont d'altitude modeste, mais leurs faces nord sont abruptes et bien exposées... il n'y a qu'a les suivre jusqu'à Grenade !
La rive marocaine du détroit de Gibraltar
Le cheminement est régulier, entre 1200 et 1400 m, avec quelques huit de temps en temps pour me maintenir au niveau des crêtes. Au moins à cette altitude-là je ne risque pas d'interférer avec les avions en arrivée sur l'ILS de Malaga... Le contrôleur qui m'a autorisé le transit dans la CTR (de classe D), obligé de me demander toutes les cinq minutes mon altitude et ma position par rapport au VOR de Martin (MAR) - heureusement, je peux le renseigner avec précision grâce au coordonnées que j'ai relevées sur la carte aéro Vuelo Visual et que j'ai rentrées sur le calculateur de vol LX 5000, le GPS faisant le reste - s'est juré apparemment qu'on ne l'y reprendrait plus, et m'avertit que c'est la dernière fois qu'il me laisse transiter sans tronspondeur !
Le rocher de Gibraltar et la baie d'Algeciras
Par le travers du terrain ULM de Villanueva del Trabuco, je refais enfin 1900 m, il n'y a plus qu'à me laisser porter le long de la sierra Gorda et à me laisser glisser en finesse vers Granada ! Comme prévu, pas de réponse à la radio, j'essaie de joindre l'ACC de Séville pour clôturer le plan de vol, mais je suis trop bas pour qu'ils me reçoivent, la Guardia Civil de l'aéroport s'en chargera (j'en serai quitte pour une taxe d'atterrissage majorée pour arrivée "hors horaires d'ouverture"). J'arrive verticale terrain à 400 m sol ; j'en profite pour repérer le chemin le plus court vers l'hôtel-restaurant situé juste à côté de la piste, mais malencontreusement à l'opposé de l'aérogare... et je me pose à 21h30 précises ! Pas de véhicule "Sigua me" (suivez-moi) à cette heure-ci, mais je connais le chemin du parking pour y être passé à l'aller. Accueil cordial bien qu'un peu surpris de la Guardia civil, et, trois petits quarts d'heure de marche plus tard, je peux enfin savourer un bon repas et la réussite inespérée de ce vol...
cumulus à 6200 m sur Tazenakht
Le Maroc et particulièrement la région de Ouarzazate, au sud du Haut-Atlas et au confins du Sahara, possède des ressources touristiques riches et variées mais surtout une aérologie exceptionnelle, digne des sites vélivoles les plus réputés dans le monde, tels que la Namibie, l'Australie ou le Nevada. Encore insoupçonnée il y a une dizaine d'années, elle fut découverte en 1990 par la Route des Cigognes, randonnée de motoplaneurs annuelle organisée par André Martin. Depuis l'an dernier, à l'initiative d'un des anciens participants de la Route des Cigognes, Didier Chevalier, et avec le soutien des autorités locales, des périodes d'activité vélivole ont regroupé une douzaine de planeurs et motoplaneurs quelques semaines par an ; activité qui pourrait devenir permanente dans un futur proche : une association "Sud Atlas Vol à Voile" vient d'être créée pour pérenniser l’activité vélivole à Ouarzazate, faciliter le séjour des pilotes et l’organisation de manifestations sportives (on pense à une compétition de motoplaneurs) - Site web : http://df2.free.fr - Les performances réalisées parlent d'elles-mêmes : l'auteur y a battu en mai 2000 plusieurs records de France, qu'il a surpassé cette année avec un triangle FAI à 140,9 km/h, une distance libre de 1322 km, et un aller-retour libre de 1022 km (aller-retour but fixé de 1002 km à 119,2 km/h), le tout en ASH 26 E (classe 18 m). Plusieurs autres pilotes y ont réalisés des "mille bornes", dont deux en épreuve FAI... avec ceci de remarquable que ces grands vols sont réalisables tous les jours, ou presque, à partir de la fin mai : cumulus de 5000 à plus de 6000 m, ascendances de 3 à 6 m/s, durée d'instabilité de 10 à 11 heures, et souvent une confluence permettant de survoler tout le Haut-Atlas à haute vitesse et en ligne droite, sans avoir besoin de spiraler... avec en prime, le dépaysement garanti ! A consommer avec respect cependant, car ces conditions musclées créent des brises thermiques parfois violentes occasionnant des décollages ou atterrissages mouvementés, notamment par vent de travers, des orages normalement cantonnés au haut relief mais qui certains jours peuvent s'étendre sur toute la région et contraindre au déroutement ; le tout dans un environnement de haute montagne ou de désert qui impose la prudence, notamment dans le respect du local des zones atterrissables répertoriées. Mais après une période d'accoutumance les 1000 km sont ici à la portée de tout pilote un tant soit peu expérimenté en montagne... et les 1500 km seront certainement réalisés d'ici peu !
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Le vol à voile itinérant est encore assez peu pratiqué : la plupart des vols de distance en planeur sont des circuits fermés d'un à trois points de virage, des épreuves de 1000 km pouvant ainsi être tournées sans s'éloigner de plus de 170 km de la base de départ. L'exception, dans les années 1980, fut la Transeuropéenne, compétition regroupant une quinzaine de pilotes pour un périple de 2000 à 3000 km à travers l'Europe, à boucler en 2 ou 3 semaines. Mais avec un planeur non motorisé il est nécessaire de prévoir une équipe de dépannage en cas de vache et pour franchir par la route un obstacle aérologique ou une zone de mauvais temps, et de se soucier de trouver un avion et un pilote remorqueurs, ce qui n'est pas toujours facile !
Le planeur autonome permet de s'affranchir de toutes ces contraintes et de naviguer aussi librement qu'un avion léger, avec l'intégralité des performances des planeurs modernes. La Route des Cigognes a ouvert la voie vers le Maroc en 1989 ; un de ses premiers participants, Siegfried Beilharz, en était cette année à sa 7ème expédition à Ouarzazate en vol à voile depuis la Forêt Noire ! Même si on ne s'en sert pas ou peu, le fait d'avoir un moteur "au cas où" permet d'avancer en vol à voile par des météos médiocres, quand les planeurs restent en local ou dans les hangars. Plus d'une fois, alors qu'on pense devoir remettre en route, quand il semble qu'il n'y aura plus la moindre ascendance, on est tout surpris de retrouver de quoi pousuivre en vol à voile...
Un peu d’expérience des terrains contrôlés et de la phraséologie en anglais, un minimum de documentation et de préparation pour être en mesure de choisir parmi les options qui se présentent en fonction de la météo, et ce type de vols se révèle finalement beaucoup plus simple qu'on ne se l'imagine au premier abord.
L'ASH 26 E sur le parking de Fès, à l'aller
Bien sûr il se trouvera sans doute quelques intégristes vélivoles pour considérer le planeur autonome comme "impur" (par opposition aux planeurs "purs"), et pour objecter que ce n’est pas du "vrai" vol à voile, puisqu’on a toujours la possibilité d'utiliser le moteur, même si on ne s’en sert pas... mais quel planeur "pur" permettrait un vol à voile aussi passionnant ?
Alors, si vous en avez l’occasion, n'hésitez plus... pourquoi
ne tenteriez vous pas l'expérience vous aussi ???
L'auteur à Jaca, avec le chef-pilote Jean-Marc Caillard