Retour au Djebel

 Claude Calleja, vélivole de Fayence habitué des cieux lointains (il nous a raconté dans Aviasport sa découverte des Andes en planeur à partir de Santiago du Chili) est le premier – et encore le seul – à avoir réussi l’exploit de traverser l’Atlas en planeur au départ de Beni-Mellal… et, bien involontairement, la liaison vers Ouarzazate !


 Parcourant le Maroc en camping-car avec Catherine en mai 2000, je ne pouvais manquer de rejoindre Ouarzazate où Marc Nombret m’avait invité. Je fis à cette occasion deux vols sur le Haut-Atlas le 21 et 23 en Astir et un autre en Stemme le 26 avec Stéphane Blondé – inoubliable transition à 200 km/h de moyenne sur 60 km en double front d’orage en gagnant 400 m…

Pour moi, c’était des retrouvailles avec ce merveilleux massif aux conditions vélivoles exceptionnelles. En effet, déjà invité au Beni-Mellal en mars 1989, j’avais effectué une longue reconnaissance avec Bouali sur le Dimona CN-TPG et traversé le Haut-Atlas aller et retour en notant sur la carte les détails du parcours et l’absence presque totale de zones vachables.

Samedi 11 mars 1989 : Persuadé que la flotte serait entièrement utilisée par les locaux, je flâne à l’hôtel Ouzoud jusqu’à 12h30. Mais, arrivé au terrain, le Speed-Astir CN-TPD m’attendait. La veille, les strato-cumulus vesperalis formés sur le haut Atlas dérivaient au crépuscule au-dessus de Beni Mellal, poussés par un bon vent du sud-ouest, ce qui laissait prévoir une journée exceptionnelle. Décollage 13h50, largué 13h55 dans une bonne pompe. Contact avec Marc volant sur l’Astir. Il me répond, mais rapidement le contact radio faiblit puis disparaît. Par petites tranches, j’arrive à 2 800 m au-dessus du Djebel R’Nim (2404 m).

C’est assez pour atteindre en sécurité un petit cumulus qui se forme sur le Djebel Chiou (2678 m) qui me monte à 3300 m dans des ascendances turbulentes  et hachées qu’il faut sans cesse recentrer.  Un autre cumulus, déjà bien joufflu, se forme au SW de ma position sur le Djebel Azrouki (3690 m) avec quelques matérialisations à mi-chemin. Alors, je me lance après avoir calculé que, même à 3100 m, sous le sommet je peux encore rentrer «à la maison ». La transition ne se passe pas trop mal. Quelques tours de spirale au niveau des petites matérialisations et j’arrive sur la face nord à 3 200 m. Ca dégueule dur. Je contourne par la face ouest (côté cumulus) et arrive au SW. Ca repasse à 3 - 4 m/s réguliers. Une fois arrivé au sommet, je passe sur la face Sud et atteins rapidement la base du cumulus (déjà congestionné) à 3800 m. Le col de Tizi n’Aït-Ahmed est dans la poche et au delà les faces sud du Grand Atlas qui sont le but de ce séjour. J’y arrive après quelques tours sur un sommet intermédiaire au sud du lac d’IZOURAR, pendant lesquelles je vois mon cumulus de l’Azrouki se gonfler d’une aigrette en balle de coton, dont le sommet doit attendre 5 à 6000 m ! Je suis bien plus haut que le col, alors je mets directement le cap sur le Seigneur de cette zone l’Ighil M’Goun (en berbère « Montagne de l’Ogre », 4071 m). La face nord est très pentue et cependant encore bien enneigée.

L’ombre des crêtes y dessine une énorme tête d’indien. Je ne perds presque rien à le contourner et alors c’est le pied. Sur toute la crête, c’est le vario entre 4 et 6 en ligne droite. La base de la longue barre de cumulus congestus est rapidement atteinte vers 4500 m. Toujours pas de radio. Je pense au retour, mais vers le nord, la situation s’aggrave rapidement et après 20 minutes à observer les différentes possibilités de retour, il m’apparaît plus prudent d’y renoncer.

Fuite en avant…

Je pousse vers l’ouest-sud-ouest, parallèlement aux crêtes, parcourant 40 km à 150 km/h, sans rien perdre. La seule solution est de me vacher sur l’aéroport de Ouarzazate. J’appelle sur la fréquence, pas de réponse ; sur 121,5 pas de réponse non plus. J’ai un fort vent debout. J’arrive à la verticale de la piste, à environ 800 m QFE, tourne un moment pour me faire voir et me pose face à l’ouest sur ce que je pense être la piste de crash. Après une assez longue attente, je sors du piège et me dirige à pied vers la tour ; une jeep vient à ma rencontre et on me demande :
– Pourquoi ne venez vous pas au parking ?
– Votre train est cassé ? ?
– Votre moteur est en panne …. ? ? ?

Tous sont très intrigués d’apprendre que c’est un « avion sans moteur et à une seule roue » et totalement stupéfiés quand je leur dis que j’arrive de Beni-Mellal par mes propres moyens. Et encore plus surpris quand j’écris en arabe leurs noms sur mon éternel petit carnet rouge. Je leur explique que le planeur vole en montant comme une cigogne (B’rjel) et en ligne droite comme l’aigle (Naser).

Je n’ai bien sûr aucun plan de vol, aucun papier. Cela pose quelques problèmes jusqu’à ce qu’on accepte enfin d’appeler  Beni Mellal. Il est trop tard pour venir me chercher. On me ramène en ville. Je n’ai que 40 dirham. Je tente en vain de me faire héberger au Club Med (je connais) et me réfugie, après un frugal repas, à l’hôtel de la Gazelle. Le lendemain, Bouali et Marche viennent me prendre en remorque avec le Rallye. Ils m’ont apporté mes papiers et les problèmes sont réglés… Le retour en rasant toute la crête « en profitant pour prospecter un peu » sera bien plus pénible que l’aller !

Voilà, bien involontairement, l’Atlas Saharien a été traversé pour la première fois par un planeur, mais comme dirait l’autre :  « ça fait même pas Planpinuche aller simple »…

Claude CALLEJA