De la Beauce...   ...au Sahara…

 Accrochage sur les premières pentes du Haut-Atlas près de Ouarzazate

Alléchés par l’aérologie rencontrée l ‘an dernier et à l’initiative de Didier Chevalier, une douzaine de pilotes se sont retrouvés à Ouarzazate du 10 mai au 10 juin 2001 parmi lesquels Robert Prat, Yvon Laignel, Henri Marchini, François Ragot, Denis Flament ainsi que des amis suisses et allemands, tous en planeurs à décollage automome, certains venus en vol, d’autres par la route. Ils n’ont pas été déçus, la météo se révélant encore meilleure que l’an dernier, surtout dans la deuxième partie du séjour. Tous où presque ont fait des " mille bornes ", dont deux épreuves FAI (Yvon Laignel et François Ragot, ce dernier en triangle FAI et un jour de thermiques purs, car c’est trop facile sinon !). Denis Flament venu de Chartres sur son ASH 26 E (voir récit ci-dessous) a surpassé ses records de l’an dernier, avec 3 vols de plus de 1250 km (dont un triangle FAI et une distance libre de 1320 km) et 5 autres 1000 km (dont un aller-retour) en 10 vols, à des vitesses moyennes de 120 à 145 km/h , avec des plafonds de 5000 à plus de 6000 m, des Vz de 5 à 6 m/s, et de la confluence fréquente sur tout le Haut-Atlas. Il s’avère qu’à partir de la fin mai (et sans doute tout l’été) ces conditions exceptionnelles sont là-bas la norme, et qu’elles règnent avec une régularité remarquable (seulement entrecoupées de temps à autre par un ou deux jours un peu trop orageux). Ce séjour a vu la naissance officielle de l’association " Sud Atlas Vol à Voile " dont le but est de pérenniser l’activité vélivole à Ouarzazate, de faciliter le séjour des pilotes et l’organisation de manifestations sportives (on pense à une compétition de motoplaneurs pour l’an prochain).
Site web : http://df2.free.fr

Altitude : 5405 m... et encore à près de 1000 m des bases ! L'oxygène est indispensable...



 

L’aérologie exceptionnelle du Maroc n’est plus un secret pour les lecteurs de Soupape, ni pour ceux de Vol à voile (n° 95 novembre-décembre 2000 et n°96 janvier-février 2001), mais demande trois jours de route aller et autant pour le retour. Cette année, pourquoi ne pas joindre l’utile à l’agréable en faisant l’aller-retour Chartres – Ouarzazate en vol à voile ?
 
 


Le trajet Chartres - Ouarzazate

 Lundi 21 mai 2001

Ciel désespérément bleu, vent fort, thermiques purs foireux, on eût pu rêver mieux pour un " but fixé " de 2074 km ! C’est en train que j’arrive depuis Paris, Richard vient aimablement me cueillir à la gare. Mon projet initial était de descendre par la route jusqu'à Ocaña (un des deux centres nationaux espagnols, 80 km au sud de Madrid) pour m’affranchir des aléas de la météo de mai de ce côté-ci des Pyrénées et de poursuivre en vol à voile jusqu’à Ouarzazate via le sud de l’Espagne et le nord du Maroc. Ma voiture étant immobilisée pour raisons mécaniques,) il ne me reste plus qu’à partir en vol directement depuis Chartres... Heureusement la météo s’annonce acceptable à défaut d’être fumante…

Le plus dur reste à faire : faire tenir les bagages dans le planeur ! Car j’avais prévu d’en confier une partie à Ocaña à Patrick qui continuait par la route, mais maintenant il faut que je me débrouille pour caser de quoi subsister pendant 3 ou 4 semaines : linge et nécessaire de toilette, sac de couchage,  provisions de Grany et d’Isostar, gourde, quelques bouteilles d’eau, cartes aéronautiques et fiches VAC, appareil photo, téléphone, ordinateur, nécessaire d’amarrage, 3 bidons d’huile, pompe de remplissage essence et housses Jaxida complètes... il n’y a plus beaucoup d’espace vide dans l’ASH 26 quand j’arrive enfin à fermer la verrière ! La position de pilotage est un peu déroutante au début, étant avancé au maximum, et je ne peux pratiquement plus bouger, mais le confort reste acceptable, n’ayant sacrifié ni le dossier de siège ni le coussin... et aucune commande de vol ne semble bloquée !

 14 h - C’est enfin parti... ! Je fais péniblement 750 m (je suis calé au QNH pour ne pas me faire peur, donc à peine 600 m sol...). Les pompes sont hachées par 35 km/h de vent de nord-est, rester en vol local serait difficile, heureusement Eole souffle plutôt dans la bonne direction et sur la point des pieds je mets donc le cap vent arrière.. après une paire de points bas à 200 m sol travers Vendôme, le vol se poursuit sans histoire entre 500 et 1000 m QNH et des varios entre 0.5 et 2 m/s. Je passe la Loire entre Angers et Saumur ; c’est beaucoup trop à l’ouest, mais sur 2000 km je ne suis pas à un petit détour près et je préfère rester dans l’axe du vent pour profiter d’éventuels alignements de thermiques. Et puis, qui sait, vu le vent de NE peut-être y aura-t-il en Vendée un front de brise de mer avec une confluence d’enfer?

A condition d’y arriver... me voici aux Herbiers, après Cholet, retombé à 500 m et chutant à - 4 m/s au vario : ça doit pomper quelque part ! Je survole déjà de superbes voiliers (en construction), est-ce un signe ? Je percute un 3.5 m/s qui me monte jusqu'à 1500 m... mais pas de confluence à proprement parler, c’est toujours du thermique pur et du vent de nord-est, plus faible cependant. Je veux en avoir le cœur net et poursuis vers la côte, sans grand succès, malgré quelques tours dans du positif... j’arrive sur la plage de la Tranche-sur-mer, 400 m, 18 h passées, et toujours rien... si ce n’est un terrain dont je me rapproche pour retarder le moment ou il faudra ouvrir le sac à dos. A 300 m, un petit 0.5 m/s me permet de remonter à 500, puis un autre, mais le vent me pousse vers la mer et le bilan est quasi nul. Je longe maintenant la côte vers l’est à 400 m, tiens, ça chemine dans du zéro + ... une pointe à 2 m/s, ça mérite qu’on s’y arrête ! Dix minutes plus tard, je suis à 1150 m, dans une large plage ascendante presque laminaire... et j’ai dérivé à 5 km en mer, à mi-chemin entre l’Ile de Ré et le continent ! Dommage qu’il n’y ait pas de terrain sur l’Ile de Ré, sinon j’aurais été y faire un tour.

Je suis en local de La Rochelle, qui doit être un point de départ excellent en voile, mais sans doute pas en vol à voile ! Je préfère donc longer la côte dans l’espoir de retrouver le même phénomène, mais ça ne marche plus, et à 200 m, en local de beaux champs il est temps de sortir le moteur, qui redémarre au quart de tour, comme toujours. Je poursuis en palier le temps de le faire chauffer, puis un petit quart d’heure plein gaz, pour couper à 2400 m... Au loin, au sud de Rochefort, j’aperçoit les premiers cumulus de la journée ; le plafond est vers 1800 m mais il est 19h30 et les pompes sont décevantes ; je retrouve cependant de quoi rejoindre le terrain de vol à voile de Pons où je me pose à 20 h, non sans prendre le temps d’admirer le Donjon et surtout de repérer les accès du terrain à la ville... Les hangars sont clos, mais le gardien fort sypathiquement me conduit en ville où je trouve de quoi me restaurer, me reposer, et me connecter à internet pour étudier la météo du lendemain : en Espagne la situation est toujours orageuse mais semble devoir s’évacuer par l’est les jours suivants ; ça devrait passer !


Le Jbel Bou Iblane (3190 m) au nord-est du Moyen-Atlas

Mardi 22 mai

Ca s’annonce bien, à 13 h les premières barbules parsèmment le ciel de Pons, se transformant bientôt en petits cumulus. Décollage à 13 h 45, " largage " un peu optimiste à 400 m, et raccrochage laborieux à 200m... Le plafond est à 1200 m, mais il me faut bientôt baisser la tête pour rester en-dessous de la TMA de Bordeaux, vers Libourne puis Cadillac. Il est 15h30, ça commence à bourgeonner, j’aperçois maintenant des enclumes inquiétantes et devant, sur les Landes, c’est tout noir. Sur la fréquence de Saucats j’entends les planeurs qui se reposent juste avant l’orage... Que faire ? Contourner par l’est ? J’aurais à Nogaro une escale de choix et peut-être une place dans un hangar, mais j’aurais aimé être en Espagne dès ce soir ; de plus après une situation d’est l’entrée maritime menace, demain ce sera des stratocus et le passage des Pyrénées risque d’être difficile. Alors qu’à l’ouest, si je peux passer, il y aura peut-être à nouveau du soleil et un cheminement en front d’orage ! Je fais 1600 m pour le plaisir dans un 3 à 4 m/s, mais peu après il me faut redescendre à 1000 m aux aérofreins pour rester en vue du sol et voir un peu comment ça se présente devant. Au sud-ouest il semble y avoir un passage entre deux rideaux de pluie et cela semble clair derrière. Mais je n’ai pas l’intention de tenter un redémarrage trop bas sous l’orage sans rien que des pins au-dessous... aussi remets-je le moteur sans attendre, poursuivant en palier à 130/140 km/h pendant 30 km, sous une pluie modérée. Entre St-Symphorien et Le Muret, ça se dégage et je peux poursuivre en montée. Malheureusement l’éclaircie espérée n’est pas là : au-dessus de moi, l’enclume se prolonge vers l’est par un voile opaque ; dessous, tout le long de la côte, les stratus ont déjà envahi la terre sur une dizaine de kilomètres.

Un peu de calme après l’orage ! A travers les boules Quiès je n’entends plus que le moteur rotatif ronronner harmonieusement, tout est gris, l’air est maintenant parfaitement calme, tout ceci donne une sensation quelque peu irréelle... Je coupe à 3200 m, pour plus de 100 km de vol plané. A St-Jean Pied de Port, il y a enfin un peu de soleil et à nouveau des barbules, mais les sommets sont accrochés. J’y arrive à 750 m peu après 17 h, il me faudra une demi-heure pour remonter en grattant les premières pentes mètre après mètre en compagnie de vautours ; Le plafond est à 1350 m, le col de Roncevaux 5 km devant est à 1057 m... avec la particularité que côté sud, le sol ne redescend quasiment pas, c’est un plateau à quelque 900 m d’altitude ! Heureusement je sais qu’ il y a de beaux champs autour de Burguete. Je m’avance sur la pointe des pieds, ça ne chute pas trop... je me jette au sud du village sur la pente où je raccroche à 1100 m (200 m sol – il était temps !).

Mauvaise nouvelle, le plafond du côté espagnol est à peine plus haut que du côté français, à 1500 m ! Les orages ont dû tout laver ici aussi, le soleil perce timidement et la convection repart doucement mais c’est encore très nébuleux de tous côtés. En bordure de nuage côté ouest j’arrive à 1650 m, un peu plus loin 1900 m travers est d’Aoiz, avec une léger vent de nord-ouest. Il est 18h30, le terrain de Soria-Numancia est encore à 150 km au sud-ouest, de l’autre côté de la vallée de l’Ebre (un des obstacles aérologiques majeurs du parcours, que j’aimerais bien franchir dès ce soir pour assurer la traversée de l’Espagne demain). Mais je suis sous le dernier cumulus, et toute la bordure du plateau de Castille semble prise dans les cunimbs. Même au moteur Soria serait difficile à atteindre, le seul déroutement est le terrain militaire d’Ablitas mais je ne connais pas son état. Un moment une illusion d’optique me fait croire que plus à l’ouest le ciel se dégage, en direction de Burgos ; mais bientôt ce que je prenais pour du ciel bleu, à mesure que j’avance, se révèle n’être que du gris sombre masqué par de la brume ensoleillée.


Raccrochage en pente sur les éoliennes du Moncayo

Tout est bouché devant, je me décide à faire demi-tour alors que je suis travers nord-ouest de Tafalla, à 1100 m : cap vers Jaca, 85 km à l’est. Les éoliennes du Monte Guerinda semblent bien tourner : j’y arrive à 750 m et effectivement la pente nord donne, mais sans plus. Je me maintiens juste au-dessus des crêtes, dépassant un vélo sur la route qui déssert les éoliennes. Si j’arrive à rejoindre la sierra de Leire, c’est dans la poche. Mais la pente s’incurve au nord vers la sierra de Izco et ça ne marche plus ; retour en arrière pour essayer de remonter un peu plus haut dans une bulle, mais je plafonne à 1000 m, et le vélo m’a redoublé ! on ne va pas passer la nuit là, je passe sur les pentes en direction du sud-est vers le Monte Pena, 10 km au sud de Sangüesa, que j’atteins à 900 m : bien exposé au vent nord dans l’axe de la vallée de Lumbier et Sangüesa, c’est sans conteste la meilleure pompe du coin avec un bon mètre en dynamique, au milieu d’une cinquantaine de vautours. Au dessus du sommet (1050 m) c’est plus mou, mais j’arrive à gratter jusqu'à 1400 m, ce qui me permet de rejoindre plein nord face au vent l’extrémité est de la sierra de Leire 16 km, qui se montre fidèle à sa réputation : 2 m/s en ligne droite jusqu’au sommet que je passe à 1500 m ; je n’ai plus qu’à longer les crêtes jusqu'à la sierra de Orba puis direct sur le terrain de Santa Cilia. A peine posé, j’ai l’heureuse surprise de voir la voiture de piste à mes côtés et un triple champion du monde en sortir! C’est Jean-Marc Caillard, chef-pilote de la plateforme, qui m’a vu arriver… Peu après le planeur est rangé dans le hangar, la chambre réservée chez Angel au village et je partage la cena au restaurant de l’aérodrome avec les pilotes présents. Une étape vélivole comme Jaca et son accueil de grande classe vaut bien le détour !
 



Au départ de Jaca encouragé par un triple champion du monde

Mercredi 23 mai

11h15 : les cumulus sont déjà bien formés, je décolle sans attendre car il faudra passer la bordure du plateau de Castille avant que les orages ne m’y bloquent ; le but est de rejoindre Grenade, 650 km plus au sud, aéroport douanier idéal à quelque 250 km du détroit de Gibraltar - Jerez étant un peu trop près de la mer, Malaga et Séville un peu trop fréquentés. J’atteins les cumulus au km 10 au sud-ouest ; la sierra de Santo Domingo est bien pavée avec 3/8 à plus de 1600 m. Malheureusement les cumulus ne dépassent pas les derniers reliefs au km 40 : sur l’Ebre c’est le trou bleu habituel, avec un très léger vent de nord-ouest. A 700 m un thermique sous le vent de la Loma Negra me redonne un peu d’espoir ; je remonte à 1100 m. Je reprends même un petit zéro à 600 m (300 m sol) juste au-dessus de l’Ebre. Mais les prochains cumulus sont encore à plus de 20 km au sud, à leur approche les pompes semblent avoir disparu ; le sol, lui, remonte ! Il me faut remettre en route 5 minutes pour les rejoindre. Je laisse à droite la Sierra del Moncayo dont le sommet (2313 m) est accroché et m’avance prudemment en bordure du grain ; le plafond est à 2200 m soit seulement 1000 m sol. A partir de Molina les grains et les étalements laissent place à de beaux petits cumulus et le vol se poursuit facilement dans une zone encore familière par Cuenca, Ruidera et Beas de Segura, entre 1400 et 2800 m.


Cumulonimbus sur la Serrania de Cuenca

Maintenant commencent pour moi les terræ incognitæ velivolæ! A l’ouest, près de Jaen, le sommet de la sierra Màgina émerge d’une brume sèche qui remonte de l’ouest, signe de stabilité dans la vallée du Guadalquivir. Je fais un bon 3000 m peu après Baza ; au sud et à l’est le plafond s’abaisse brutalement de près de 1000 m : c’est la confluence typique due à la brise de mer, contenue en une ligne brisée par les sierras d’Estancias, Filabres et Sierra Nevada. Cette dernière est toute encapuchonnée, je longe sa face nord-ouest sous des étalements sans apercevoir le sommet.

Il n’est que 19h : je poursuis un peu sur la sierra d’Almajira, repérant au passage le terrain de Jayena perdu sur le flanc de la sierra, avant de retourner vers le point d’entrée Sierra (au sud-ouest du terrain de Granada). Je me pose à 20h, cette fois c’est le véhicule " Siguame " (follow me) qui vient à ma rencontre aussitôt la piste dégagée et me guide vers le parking planeur (c’est-à-dire dans l’herbe, le dur semblant réservé aux avions) .. Le terrain fermant à 20h30, j’attendrai demain pour poser le plan de vol vers Fès, avec Tétouan et Tanger comme déroutements. Seulement 350 km au programme, mais près de 500 avec le détour par Gibraltar...


L’enclave espagnole de Ceuta

Jeudi 24 mai

Les formalités - plan de vol, taxe d’atterrissage et douane – une fois accomplies, je refais le plein par précaution. Le passage à la météo ne m’est pas d’un grand secours : on me prédit une journée sans cumulus, puisqu’il n’y en a pas sur la TEMSI, alors que dehors depuis tôt le matin ils fleurissent sur les sommets tout autour. Je décolle peu avant 13h, sortie S, le plafond est à plus de 2000 m. Le contrôleur me transfère sur l’approche de Malaga qui me balade de fréquence en fréquence avant de revenir sur la première... Je suis autorisé à transiter par Antequera et Ronda, au niveau 65 (!). N’ayant pas de transpondeur, je dois donner fréquemment ma position par rapport au VOR de Martin (MAR), au nord-ouest de Malaga, qui conduit les avions IFR vers la finale piste 13. Je n’ai plus qu’à repérer les coordonnées du VOR en question sur ma carte et les rentrer sur le LX 5000, et le GPS fera le reste... Mais difficile de concilier trafic radio, suivi d’une route et d’un niveau, cheminement sous les cumulus et centrage des ascendances. J’aurais dû passer un peu plus au nord et contourner la CTR de Malaga... D’autant que le contrôleur m’annonce que c’est la dernière fois qu’il m’autorise le transit sans transpondeur ! L’axe ILS correspond logiquement à une brèche entre deux sierras côtières, où s’engouffre l’air marin : à son approche je me retrouve à 1300 m dans le bleu ; les cumulus suivants ne sont que vers Ronda, 30 km plus loin. Je ne me vois pas abuser de la patience du contrôleur en spiralant une demi-heure dans un zéro en plein sur l’axe ! Je remets donc le moteur 10 minutes pour quitter la zone au plus vite... 50 km après, à 2700 m, c’est définitivement cette fois la fin des cumulus espagnols : le rocher de Gibraltar se détache au loin de la brume marine, la pointe sud de l’Espagne, à Tarifa, est à 75 km devant, et les terrains de Tétouan et Tanger à 120 km... Ca risque d’être un peu juste ! D’autant plus qu’il faut contourner une zone interdite qui entoure Gibraltar ce qui fait passer bien à l’ouest d’Algeciras. Mais rien ne presse, il suffira de remettre le moteur juste avant de traverser le détroit.

Je franchis la dernière colline avant Tarifa, admirant à ma gauche la baie d’Algeciras et de Gibraltar et à ma droite les superbes plages blanches de la Côte de Lumière ; je suis encore à 1000 m d’altitude. Soudain, un coup de - 4 m/s, suivi d’une plage de zéro bien calme,... il y a à peine 15 km/h de vent de nord-est, mais sait-on jamais... je me décale un peu et trouve bientôt une ascendance inespérée de 1 à 1.5 m/s ; ondulette, confluence, phénomène lié à la proximité du détroit et de ses vents changeants, je ne sais pas, mais ça ne fait rien, ça monte ! 20 minutes plus tard je suis à 2000 m, cette fois largement en local de Tétouan, 60 km devant, et en finesse 10 de la côte marocaine...
 
 



Passage en onde avant de traverser le détroit vers l’Espagne

Adieu l’Europe, cap vers l’Afrique ! Les ferrys dessous semblent minuscules... Arrivé sur le Jbel el Haouz (838 m) qui borde la côte méditérannéenne du Maroc au nord de Tetouan, un fort vent d’est permet de me maintenir au niveau de la crête, mais les quelques bulles sont inexploitables. Traversée de la vallée de Tetouan pour raccrocher à 650 m sur des écopes bien exposées à la brise. Je remonte à 1400 m mais dois contourner par l’est le Jbel Kelti (1928 m) : sur ces reliefs plus haut le vent d’est faiblit ; il va falloir s’engager dans l’intérieur du Rif par la vallée du Laou en direction de Chefchaouen pour poursuivre en thermique pur. Une falaise verrouille la vallée, vers 1000 m : en pente nord-est la brise semble trop faible pour donner une ascendance exploitable, je continue vers le lac d’Ali Thelat... et perds soudain 300 m dans du -10 m/s intégré ! Une version locale de la Savoyarde sans doute... Je me trouve un peu bas pour tenter le raccrochage sur la pente d’en-face, car si le moteur ne veut pas démarrer il n’y a que de vagues champs au bout du lac, sans compter un dépannage épique ! Pour corser le tout ça turbule dans tous les sens... Je remets donc en route sans attendre... 10 minutes après, à 2200 m, je peux me remettre de mes émotions, en local du versant sud du Rif. Le plafond des thermiques redescend avec le sol, pour finir à 1300 m (le terrain de Fès est à 579 m). Après un point bas après le lac d’Ourtzarh, j’approche de Fès, cachée au sud du Jbel Zalarh : à mesure que je monte dans la dernière pompe, je finis par apercevoir la célèbre cité impériale qui se dévoile lentement…
 
 


L'ASH 26 E "DF" en escale à Fès-Saïss

Je me pose à Fès-Saïss à 19h10 (17h10 en TU, heure locale) mais les épreuves du jour ne sont pas tout-à-fait terminées : le contrôleur me demande de me mettre sur le parking n°1 ; j’ai beaucoup de mal à me diriger précisément à cause du vent, et je dois tirer à fond sur la poignée d’AF pour avoir un tout petit peu de frein, car une partie du liquide hydraulique a fui… je m’arrête pile sur la ligne jaune… mais je ne dois pas être là où il faut, et c’est reparti pour un tour de parking au ralenti, guidé par le contrôleur, par une température d’au moins 40°C sous la cocotte-minute de la verrière ... tout ça pour revenir exactement au même endroit mais à 90° de l’axe initial ! Si j’avais su j’aurais tourné le planeur à la main ! De plus mon plan de vol n’est pas encore parvenu, j’aurais dû le poser 24 h à l’avance pour qu’il vaille autorisation d’entrée au Maroc... Mais le lendemain tout sera arrangé ; le plan de vol est arrivé entre-temps d’Espagne et le contrôleur, usant de toute son influence, a obtenu des autorités qu’on me laisse repartir vers Ouarzazate !
 
 


Le Sahara vers Boudnib

Vendredi 25 mai

C’est la dernière ligne droite, si tout va bien (390 km à vol d’oiseau). Mon plan de vol prévoit de rejoindre le côté sud de l’Atlas au plus vite par Sefrou et Boulemane, le cheminement VFR vers Er Rachidia. Décollage à 11h40 TU, aucun cumulus en vue, avec un vent assez fort d’est-nord-est et des thermiques capricieux. Je fais péniblement 1700 m en bout de piste, mais devant le sol monte progressivement à plus de 1500 m. Je gratte donc tout ce que je trouve pour monter avec lui ; une heure après je n’ai progressé que de 30 km mais je suis à 3100 m, c’est gagné ! Arrivé à Boulemane, quelques barbules m’incitent à aller reconnaître le Jbel Bou Iblane, le dernier sommet du Moyen Atlas au nord-est (3172 m). Ce n’est pas vraiment le chemin, c’est même pile à l’opposé de Ouarzazate, mais profitons de l’occasion, on n’est pas à 100 km près. J’hésite à poursuivre vers l’Adrar Bou Nasseur, mais il faut quand même assurer la liaison avec le Haut Atlas et l’arrivée : ce sera une autre fois. Vers le col du Zad je vise de magnifiques cumulus qui ne donnent que de la dégueulante ; je finis par remonter à 4300 m, et mets le cap plein sud pour une transition de 60 km vers le Jbel Masker (3277 m, à l’ouest du J. Ayachi) où ça repart en pente à 2500 m. Je me retrouve en terrain connu - plus que 200 km - la route est toute tracée : il n’y a qu’à suivre la confluence, curieusement excellente du côté nord-ouest comme ce sera souvent la cas cette année, avec 5200 m de plafond, et 1h30 plus tard me voilà arrivé ! Je me pose à 18 h et retrouve avec plaisir les autres pilotes qui, après un début de séjour en demi-teinte, commencent à apprécier pleinement les conditions marocaines !


Départ matinal sur le Haut-Atlas

1000 km tous les jours...

Que dire, justement, des conditions rencontrées à Ouarzazate cette année ? Je pensais l’an dernier que la météo fumante des dernières journées étaient la règle les mois de juin et d’été. Je me trompais... c’est encore meilleur ! Sur 10 vols cette année, mis à part un 750 km en 6h pour cause de décollage tardif, j’ai fait 9 vols de plus de 1000 km (dont 5 en 5 jours consécutifs) et près de 11 000 km :
· un triangle FAI de 1250,2 km comme prévu à 140,9 km/h le 6 juin, un autre de 1001,4 km le 1er juin avec François Ragot
· un aller-retour prévu de 1000,4 km le 3 juin vers Tendrara à 119,3 km/h,
· deux distances libres de 1251,2 km le 27 mai et 1321,8 km le 5 juin (à 3 points de virages prédéclarés), et d’autres non prévues de 1149, 1040, 1126 et 1045 km.


Haute vallée de l’Atlas

 Le 2 juin, jour de repos était tout-à-fait volable ; les 28 et 29 mai, ainsi que les 8 et 9 juin, l’instabilité était trop forte avec des orages dès le début d’après-midi sur Ouarzazate. Le 7 juin, parti à 9 h, près de 900 km étaient déjà parcourus à 15 h (soit 150 km/h de moyenne), avant d’être bloqué par l’orage... les 1500 km sont donc certainement réalisables.
 Les conditions rencontrées : plafonds de 5000 à 6200 m, Vz moyennes de 5 à 6 m/s, excellents cheminements sur l’Atlas, et durée d’instabilité dépassant 10 h, même en plaine parfois. Quelques particularités cependant, par rapport à ce qu’on avait observé l’an dernier :
· le versant nord-nord-ouest du Haut-Atlas a été souvent meilleur que le sud, particulièrement en début de convection ou à partir du milieu d’après-midi, quand l’ensoleillement est favorable, avec des cheminements excellents en bordure nord-ouest de la rue de nuages ; sans doute le sol y était-il plus sec que l’an dernier, en cette période plus tardive.
· en période d’instabilité (2 fois 2 ou 3 jours, à 10 jours d’intervalle) les orages ont été moins violents sur l’Atlas, mais ont débordé sur toute la plaine au sud, jusqu'à Zagora compris. Le contournement par le sud peut alors être impossible (à cause de la frontière), le retour depuis le nord de l’Atlas délicat, et le déroutement peut être alors la seule possibilité si l’heure est tardive : Robert Prat parti pour 1250 km le 27 mai a ainsi dû se poser à Beni-Mellal au retour.


Le DG 800 d’Yvon Laignel sur l’Ighil M’Goun (4071 m)

Yvon Laignel a réussi ses 1000 km (le 26 mai), et Robert Prat, François Ragot, Armin Sturzenegger et Siegfried Beilharz ont tous tournés des circuits de 1000 à 1150 bornes plusieurs fois eux aussi. Seul le choix des points de virage, comme partout, peut s’avérer délicat, mais la météo, à défaut de prévision, est assez " prédictible " (chaque jour est comme la veille, en mieux, jusqu'à ce que ça tourne à l’orage !). Et tout laisse à croire que c’est comme ça tous les jours jusqu'à fin août...


Le Haut-Atlas au départ de Ouarzazate

Le retour

Les meilleures choses ayant une fin, le dimanche 10 juin il me faut remettre le cap au nord. Plan de vol vers Grenade (750 km en ligne droite, 906 km avec les détours...). Départ à 10 h 15 en thermiques purs, quelques nuelles sur l’Atlas jusqu'à l’Ayachi, plafond 4500 m, avant d’obliquer au nord puis au nord-ouest au travers du Jbel Bou Iblane. Sur tout le nord-ouest du Moyen-Atlas un front froid est passé : je repasse sous 3/8 de cumulus à moins de 2000 m de plafond, alors qu’une couche d’AltoCu d’une centaine de kilomètres de largeur barre le ciel.


Traversée du front au lac d’Ourtzarh, vers Tanger

Sous le voile le plafond n’est bientôt plus que de 1100 m vers le lac d’Ourtzarh, ça rame un peu face à un vent de 30 km/h ; heureusement le soleil n’est plus très loin. Une tentative de remonter une vallée vers l’intérieur du Rif (qui est accroché) se solde par un point bas à 700 m en limite du local des derniers champs. Il me faut contourner les montagnes par l’ouest, vers Ouazzane, avec un plafond qui continue de baisser à l’approche de la mer ;  à 16h30, à 20 km de Tanger il n’y a plus que 800 m et du 0,5 m/s en pointe ; le vent ayant faibli même les pentes ne donnent plus...


En onde au-dessus de Tétouan

Mais j’ai repéré au nord de Tétouan un nuage un peu trop gros pour être un cumulus, surtout là où il est placé, verticale la côte... il doit bien y avoir un peu d’onde à l’est du Jbel el Haouz... passé le Jbel Tsetouira, une colline insignifiante de 665 m, je trouve déjà un petit ressaut qui me monte à 1800 m ! Je passe aisément au-dessus de la crête du Haouz pour retrouver un bon 2 m/s dans le premier ressaut avec un vent d’ouest-nord-ouest de 30 à 40 km/h (le rotor que j’avais repéré est plus loin, sans doute dans le deuxième ressaut). Je gratte jusqu'à 4700 m, pour atteindre directement les derniers cumulus du soir au nord d’Estepona, 105 km devant, en évitant cette fois Gibraltar par l’est. Ceux-ci ne donnant rien (il est déjà 18h30 TU, 20h30 locales), je poursuis par les pentes, et c’est à nouveau une divine surprise : il y a à nouveau un petit vent de nord-ouest, et une belle série de falaises bien exposées tout le long de ma route, de la Torrecilla jusqu'à la Sierra Gorda, qui me permettent de cheminer au ras des crêtes avec quelques " huit " de temps à autre, et d’arriver enfin en local de Granada où je me pose au coucher du soleil, à 21h30 locales (ce qui me donnera droit à la taxe d’atterissage spéciale " atterissage après la fermeture " !)...

Le lendemain 11 juin je rejoins Jaca (650 km) en 7 h 30 avec des cumulus de 2000 à 3000 m puis en thermique pur plus au nord, dès Molina. La vallée de l’Ebre, plus docile dans ce sens là malgré le plafond relativement bas au Moncayo (2400 m), se laisse enfin dompter... Mardi 12, j’escalade les Pyrénées jusqu'à 3000 m, alors qu’un nouveau voile arrive, pour un long plané vers Bretagne d’Armagnac puis du thermique pur entre 200 et 500 m sol en bordure des Landes... Le plafond remonte vers 1000 m, toujours sous un voile plus ou moins épais, et j’arrive ainsi à 18 h peu avant Angoulême où il me faudra, pour la seule fois de tout le trajet retour, remettre 2 minutes de moteur juste avant de retrouver de meilleures conditions (1500 m) jusqu'à Couhé-Vérac. Mercredi 13 juin, enfin, le retour à Chartres est presque une formalité (263 km, 3 h) malgré un temps qui tourne assez vite à l’orage...

En conclusion de ce périple en vol (qui n’est nullement une première, car beaucoup l’ont déjà fait, dans le cadre de la Route des Cigognes entre autres... et Siegfried Beilharz en était cette année à sa 7ème expédition à Ouarzazate depuis la Forêt Noire), j’ai été surpris par la relative facilité de ces vols. Le motoplaneur est bien sûr indispensable, sauf à prévoir une logistique lourde (remorqueurs, dépannage) ; il permet d’avancer les jours de météo incertaine (quand les planeurs d’habitude restent en local voire dans les hangars), de franchir quelques barrières aérologiques, sans toutefois que j’aie eu besoin de l’utiliser outre mesure : pour le trajet aller 1h45 au moteur en 5 vols, décollage compris, et une remise en route par vol en moyenne, malgré une météo assez médiocre ; au retour seulement 27 minutes pour 4 vols, avec une seule remise en route en vol, par météo favorable sans plus.

Le planeur motorisé s’intègre comme un avion léger dans les trafics d’aérodromes et les formalités douanières se passent mieux que par la route... Avec un peu d’expérience des terrains contrôlés et de la phraséologie en anglais, tout se passe bien ; il faut toutefois une documentation suffisante et un peu de préparation pour être prêt à choisir l’option qui se présente en fonction de la météo. Plus d’une fois on s’aperçoit que le passage en vol à voile est possible là où on pensait avoir à utiliser le moteur (pour la traversée de Gibraltar notamment !), et quand il faut y recourir, c’est pour peu de temps car une fois le passage difficile franchi, on retrouve des conditions où le vol à voile est possible... Bien sûr il se trouvera des puristes pour objecter que ce n’est pas du " vrai " vol à voile, puisqu’on a un moteur en cas de besoin, même quand on ne s’en sert pas... mais quel planeur " pur " permet un vol à voile aussi passionnant ? Alors si vous en avez l’occasion, n’hésitez plus, tentez l’aventure vous aussi !

Denis Flament, juin 2001